jeudi 20 janvier 2011

LSE and Other Drugs*

*Attention ce post contient des propos intellectuels pouvant ne pas convenir à tous les publics. La supervision d’un universitaire est conseillée, bien qu’elle ne soit pas obligatoire, ni nécessaire.

Dans l’avion me transportant de Montréal vers Londres j’ai profité de tous les services que m’offraient aimablement Air Canada en échange de la modique somme de 932$ : soit un repas de pâtes qui goûtaient le congelé, une "tite couvarte" bleue encore humide, un oreiller blanc que j’aurais dû voler et … des films. Ils sont, selon moi, les seuls avantages d’un voyage en avion à part, évidemment, vous mener à votre destination finale.

En tout cas, je me suis tapé trois films pendant mon vol : Social Network, The Town et Love and Other Drugs. C’est de ce dernier que part le concours de circonstances qui sera le propos de ce post. Comme quoi la vie nous met dans de bonnes dispositions. Me voilà dans l’avion en train d’écouter cette comédie romantico-dramatique sans savoir que ce film allait m’aider à saisir les détails des deux séminaires auxquels j’ai participé cette semaine.

Pour vous mettre en contexte, le film raconte la rencontre de Jamie qui vend des produits pharmaceutiques pour Pfizer et Maggie qui est atteinte de Parkinson. Après une torride histoire de baise supposément sans lendemain, ces deux jeunes gens tombent amoureux et patati et patata. Bon, je ne vous raconte pas la fin du film, même si vous vous en doutez bien.

Ce qui est intéressant, c’est plutôt l’histoire qui se joue en arrière-plan. Jamie est représentant pharmaceutique pour Pfizer à l’époque où son compétiteur direct est Eli Lilly qui commercialise le Prozac. Dans les années 1990, Prozac était vendu à peu près à tout le monde pour divers déséquilibres neuro-psychologiques allant de la dépression, aux troubles d’anxiété en passant par la boulimie. C’était les années où les compagnies pharmaceutiques faisaient ce qu’on appelle dans le jargon du « benefits selling » , soit faire la promotion d’un médicament non seulement pour régler le trouble pour lequel il a été conçu, mais pour traiter d’autres symptômes. C’est un peu ce qui s’est passé avec le Propecia qui était destiné à la base au traitement et à la prévention des cancers de la prostate, mais qui s’est avéré être très efficace contre la calvitie. Vous connaissez fort probablement quelqu’un dans votre entourage, un jeune homme d’une trentaine d’années, qui en prend…pas pour son cancer je vous l’assure.

On voit donc Jamie, dans le film, essayer de vendre aux médecins l’idée de prescrire du Zoloft (la version de Pfizer du Prozac), ce médicament étant censé avoir moins d’effets secondaires que son concurrent. Ce que l’on ne dit pas dans cette superproduction, c’est que quelques années plus tard, le Prozac a été énormément critiqué pour les problèmes de dépendance qu’il occasionnait et les fortes répercussions négatives sur les patients lorsqu’ils tentaient d’arrêter le traitement. Mais pour en revenir à Jamie, il échoue lamentablement vu la très grande popularité du Prozac à l’époque. Pour la petite histoire, Pfizer a eu de la difficulté à être dans la course au titre de la plus grande compagnie pharma au monde jusqu’à l’arrivée du Viagra. Elle est maintenant grande gagnante devant Johnson & Johnson et Merck. La sortie de la petite pilule bleue est dépeinte dans le film comme un moment charnière dans la carrière du personnage principal.

Pourquoi je vous raconte tout ça ? Bien c’est que cette semaine, j’ai assisté à deux séminaires qui portaient, l’un sur l’histoire de la médecine et des diagnostiques, et l’autre sur les compagnies pharmaceutiques, les essaies cliniques et la vente de médicaments. Là vous vous demandez : « C’est quoi le rapport avec ta thèse sur les familles et la procréation assistée ? » 

Bien, c’est assez simple. La médecine fait partie intégrante de mon sujet de thèse étant donné que sans ces technologies médicales, les médecins eux-mêmes et les dogues qui sont essentielles aux traitements, il n’y aurait pas de bébés éprouvettes et donc, pas de thèse … ni de mères éprouvées (se référer à la citation de Julie Snyder dans cet excellent article d’Ariane Lacoursière pour comprendre mon gag).

J’ai littéralement bu les paroles de Nikolas Rose pendant ces deux séminaires. Le rôle des compagnies pharmaceutiques et la construction des diagnostics médicaux me fascinent depuis longtemps. J’ai cassé les oreilles de quelques-uns d’entre vous avec mes multiples lectures sur la pilule contraceptive ou le Guardacil et je mijote un projet de livre (Hormono-politics) avec Mireille depuis quelques années déjà.

D’un point de vue de la science politique, ces enjeux posent plusieurs questions. Quelle est la responsabilité de l’État quant au rapport entre les Big Pharma, les médecins et les patients? Comment mettre en place des mesures règlementaires qui protègent les patients tout en favorisant la recherche et le développement des technologies et des médicaments ? Pourquoi un médicament est en vente libre et un autre non ? Pourquoi accepte-t-on que l’on fasse directement de la publicité pour un médicament aux États-Unis, mais pas au Canada ou en Grande-Bretagne ? Quels sont les incitatifs pour qu’un gouvernement décide de faire une campagne de vaccination massive (rappelez-vous l’an dernier avec la Grippe H1N1 ou Guardasil chez les jeunes filles de 9 à 26 ans au Canada)? Ce ne sont que des exemples, mais c’est fabuleusement fertile ;) comme domaine d’étude.

En se basant sur les travaux de Michel Foucault et plus précisément sur son livre « La naissance de la clinique », Professeur Rose nous a fait la généalogie de la pratique médicale. Il part de l’époque où l’on diagnostiquait les problèmes mentaux en regardant la peau, les yeux et la posture d’une personne, jusqu’à aujourd’hui où l’imagerie par résonnance magnétique révèle en une petite tache bleue le siège exact de la folie dans le cerveau d’un sujet. Il explique comment jadis des simples photos témoins étaient utilisées pour identifier une démence quand aujourd’hui les médecins se réfèrent à des manuels remplis d’indicateurs et de types de symptômes en plus des dizaines de tests iatriques afin de poser le même diagnostique. Ce qui nous intéresse en plus de comprendre l’évolution de toutes ces pratiques, c’est de voir que toute science se construit à travers le temps et les découvertes. Ce qui nous paraissait être un remède totalement révolutionnaire à une époque (ex : la lobotomie) peut maintenant nous sembler une torture inhumaine. Nous voulons comprendre pourquoi c’est ainsi, qu'est-ce qui nous amène à comprendre les choses comme elles sont à un moment et pourquoi on change d’idée en cours de route, qui est-ce que l’on croit détenir la vérité, en qui on a confiance et pourquoi ?

Afin de répondre à ces questions, il faut se plonger dans les livres, mais aussi se plonger dans le réel, dans la pratique, aller sur le terrain. Voir le présent pour comprendre le passé et refaire la généalogie (i.e. l’inverse de l’histoire qui part du passé pour revenir vers aujourd’hui) d’une discipline contemporaine. Pour les gens comme moi qui font des sciences sociales, avoir une fenêtre sur une pratique - disons ici la vente de produits pharmaceutiques - c’est comme avoir accès à notre objet d’étude, c’est comme mettre du sens commun dans une réflexion théorique. Je ne suis pas en train de vous dire que le film m’a donné un regard tout à fait pertinent et valable sur le milieu de la pharmacologie, mais il m’a aidée à mettre des images sur des mots. Ce n’est pas un peu moins geek expliqué comme ça??

En tout cas, comme ma compétence s’arrête là, je vais vous épargner ma critique cinématographique. En espérant qu'il y ait encore plusieurs séminaires aussi intéressants dans les prochaines semaines. Qui sait, peut-être que ma lecture de "Eat, Pray, Love" m'aura servi à quelque chose finalement?!




7 commentaires:

  1. Ma best! Tu es si drôle! Tu me cite dans ton blog! Génial!
    As-tu lu Eat,Pray, Love? Je t'imagine lisant ce livre dans un petit café sombre et chaud de Londres après avoir parcouru un autre quartier de la ville.. Chanceuse!

    Ici, il doit être tombé environ 10 mètres de neige cette semaine à Sutton. Et je vais là-bas dès ce soir jusqu'à dimanche! Je te Skype dès que je peux.

    Bisoux
    Ta best, qui réalise qu'elle écrit des posts beaucoup trop personnels et qui doivent emmerder tout le monde sur ton blog public! (mais je m,en fou!)

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  2. C'est tout à fait l'endroit pour me poster des trucs du genre. Rien n'est trop personnel, de toute manière, les autres on s'en fout s'ils sont pas contents, ils ont juste à pas lire tes commentaires. Moi je suis contente d'avoir pleins de nouvelles.
    J'ai lu "Eat, Pray, Love" essentiellement dans les cafés londoniens en sirotant un thé chaud. C'était agréable, mais je ne peux pas dire que j'ai adoré le livre. Pourtant j'étais dans les meilleures dispositions, mais j'ai trouvé la fille un peu trop chialeuse....peut-être à cause de la traduction. Anyways...
    Je m'ennuie! Skype bientôt...et bon ski ma best! xxx

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  3. Salut ! Même si je ne suis pas une universitaire, j'ai tout compris !!! C'est cool pour toi d'être dans un environnement qui t'es familier. Moi j'ai une demande spéciale pour ta prochaine expédition : en ce moment, à TVA, il diffuse tous les Harry Potter alors j'aimerais une photo de toi ( commme preuve que tu es allée) à la gare de King's Cross ! Nous, la famille Wata allons très bien. Raphaëlle mange maintenant 3 repas par jour....elle est magnifique ! On s'ennuie de toi mais on est passionnée par tes chroniques.

    Famille Wata xxxxxxxxxxxxxxxxxxxx

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  4. Oh! Je te promets une photo à la gare de King's Cross au quai 9 3/4. Quand il fait noir et brumeux ici c'est tellement un décor à la Harry Potter. Tout a l'air un peu magique.
    Je suis contente d'avoir des nouvelles de ma poulette. Elle va tellement grandir pendant mon absence si tu la nourris comme ça! Argh!
    Je vous embrasse fort la famille Wata!

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  5. Ah bella Audrey!
    Moi aussi j'ai hâte de te skiper...
    Comme tu as pu voir dans mes multiples "status updates" de FB, je parts à La Havane deux semaines après mon déménagement! Nous avons trouvé un deal MALADE!!! Prix du billet, 3$!!!! Taxes: 225$...comme dit Leyla, c'est à se demander qui fait du cash avec ça!!! Enfin...pour 228$ nous partons à l'aventure dans les rues de la Havane! Comme à notre habitude, nous ne savons pas encore où nous allons dormir, ni ce que nous allons faire. Une chose est certaine, nous allons danser, sortir, et faire de belles rencontres!
    Aussi, ce vendredi, j'ai dormi ma première nuit dans mon appartement...en fait, je devrais dire, j'ai campé dans mon appartement! Leyla m'a gentiment prêté un matelas gonflable, donc après une soirée bien arrosée, je n'ai plus besoin de squater à droite et à gauche! D'ici mon déménagement officiel (sûrement le 5 février), ce campement temporaire devrait faire la job!
    J'ai hâte de te parler...
    bisou xxx

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  6. ah mon amie! Comme j'aimerais aller au TATE avec toi! Et prendre le thé et une pinte dans un petit pub de Londres! Tes chroniques sont tellement captivantes, j'adore te lire et j'ai l'impression de découvrir une autre partie de toi:) J'adore! Tu est une blogueuse trop intéressante!

    Je profite des pentes en pensant à toi!

    Gen L. xxx

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  7. Comme tu est gentille mon amie! Ça me fait plaisir que ce blogue soit agréable à lire. J'adore l'écrire, ça me fait partager mes découvertes et en plus j'ai tous vos beaux commentaires qui me donnent l'impression de ne pas être très loin. À chaque jour je pense à un de vous en me disant que ça vous plairait. Je me dis: "je ferais bien ce truc avec telle ou telle personne". Il y en a pour tous les goûts. Je continue de vous donner des aperçues de mes activités le plus souvent possible.
    Profite de la neige pour moi!
    Grosse bise ma Ge

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