samedi 5 février 2011

Going Solo

Minnie Cunningham at the Old Bedford par Walter Richard Siskert

Le défaut le plus répandu de notre type de formation et d'éducation : 
personne n'apprend, personne n'aspire, personne n'enseigne... à supporter la solitude.
[Friedrich Nietzsche]

L’homme est un animal grégaire. On aime se promener en bande, s’accoupler (s'unir, se jumeler, former la paire), se rassembler pour partager nos vies. Peut-être que c’est parce qu’on a besoin de points de repère, de s’associer pour se sentir bien ou c’est simplement que l’on est incapable de comprendre quel bonheur réside dans la solitude.

Je trouve que cette citation de Nietzsche est entièrement vraie. Je suis convaincue qu’on oublie de nous apprendre comment supporter la solitude et que cela n’est pas du tout valorisé dans notre société. Pour quelques très bonnes raisons cela étant dit. Je reste convaincue que d’être ensemble, c’est la seule réelle manière de vivre heureux. Par contre, maintenant, je crois qu’il faut être bien seul pour véritablement être avec les autres.

J’ai craint d’être seule très longtemps. Je suis une jonkie du social. La personne qui est la plus heureuse quand la maison est pleine, quand ça grouille. J’aime les discussions enflammées, les fêtes, les surprises, les soupers entre amis, le small talk de corridor, mélanger les gens, les faire se rencontrer, les toucher (hum, hum j’suis une toucheuse)…

Être seule dans mon cas, ça a commencé par aimer le silence. Essayer d’apprécier les moments, même accompagnés, où le silence prend la place. Je l’ai laissé gagner du terrain tranquillement. Je lui ai laissé de l’espace pour circuler, pour qu’il devienne à lui tout seul une conversation. Je ne vous mentirai pas en vous disant que je suis très forte dans l’art d’arrêter de jacasser, mais je suis arrivée à profiter des silences et à essayer de les décoder. Il y a quelqu’un qui a écrit un jour que dans le silence et la solitude, on n’entend plus que l’essentiel. C'est ce que je cherchais et le silence a contribué à ce que je le trouve éventuellement.

Je crois que la deuxième étape, ça a été d’entreprendre des choses pour moi. Bizarrement je ne savais pas comment me faire plaisir. Je ne savais pas qu’est-ce que je trouvais beau, bon, agréable. Être seule ça a été pendant un moment, de me tourner vers moi. De faire tout dans un élan de perpétuel égoïsme, et ça s’est avéré incroyablement satisfaisant. 

En quoi cela peut-il avoir à faire avec la solitude? Tout. Leçon numéro un d’apprendre à supporter la solitude : se connaître. C’est essentiel. C’est de là que provient l’autosatisfaction, la résolution individuelle du bonheur. Tu veux faire la fête, go. Tu veux voir cette personne-là, go. Tu veux prendre un bain, lire un livre, te faire un souper gastronomique, go, go, go.  Après ça tu te rends compte que plusieurs de ces plaisirs se consomment en solo.

Le troisième bond vers l’avant a été de prendre mon appartement et d’y installer mon chez moi. Je mentionne souvent cette discussion que j’ai eue avec Vaness au début de mon célibat. Je lui disais combien je la trouvais courageuse de vivre seule. Elle me disait à quel point elle aimait se retrouver dans son cocon. Je me rappelle que j’étais totalement incrédule, mais aussi très curieuse. C’est devenu le premier test (je vous ai déjà dit que Londres était le dernier). Mais moi par rapport à Vaness, je ne savais pas que j’avais le courage. Ça a pris un moment avant que j’arrive à avoir les couilles de faire le saut.

Lors d’un de mes multiples allers-retours entre Montréal et Ottawa, j’ai lu l’excellent (c’est un euphémisme) Chagrin d’École et un passage m’a clairement marqué. À une période où je cherchais moi-même un endroit où atterrir, un espace où me sentir moi-même, Pennac a exprimé ce que je cherchais. 

" Dans le train qui me ramène de Lyon, je me dis qu’en rentrant chez moi, ce n’est pas seulement ma maison que je regagne : je retourne au cœur de mon histoire, je vais me blottir au centre de ma géographie. Quand je passe ma porte, je pénètre en un lieu où j’étais déjà moi-même bien avant ma naissance : le moindre objet, le moindre livre de ma bibliothèque, m’attestent dans ma séculaire identité… "

Depuis, cet extrait a pris plusieurs significations pour moi, mais il est toujours resté parlant.

Je pense qu’il faut un endroit que l’on peut appeler chez soi pour pouvoir divaguer, bourlinguer, s’évanouir dans la beauté du monde et rester bancher sur qui ont est. Un peu comme si la seule manière de supporter la solitude s’était d’être bien en dedans et de savoir d’où l’on vient. L’endroit peut changer, le pays même. Ce n’est pas le lieu qui fait le chez-soi, c’est l’âme qu’on y installe, l’histoire qui y habite. 

Dieu que je l’aime mon appartement! Et je pense vraiment qu’il me ressemble. Le sourire me vient quand je pense à tous ces souvenirs qui y sont déjà liés. Les filles rient encore de la fois où en leur faisant faire le tour de mon quatre-pièces j’ai dit « ON va se poser des rideaux ». On blague en disant que j’ai un coloc imaginaire et on rit du fait que ce « ON » n’est pas sorti qu’une seule fois. Même rendue là, même après tous les efforts pour prendre la solitude par les cornes, je n’étais pas encore totalement débarrassée de mes anciens réflexes d’animal conjugal. 

Mais le « ON » est devenu moi. L’autre personne avec qui je partage mon appart. La Audrey qui me répond quand je me parle toute seule, qui chante à tue-tête en faisant le ménage, qui se chicane elle-même de pas avoir acheté du lait. Vous savez, c’est aussi la folie la solitude. Oh oui! On vire fou ;) Une belle folie, saine. Qui nous fait prendre conscience de nos tares. De toutes ces manies que l’on a, que l’on déguise quand on vit avec les autres, mais qui font aussi partie de nous. Ouais... peut-être que c’est juste moi qui a toutes ces manies-là finalement et que je suis en train de vous révéler mes imperfections... Oups, disons qu’on va passer vite sur ce point-là!

Tout ça pour en venir à voyager en solitaire. Le dernier test, en l’occurrence Londres, est aussi la dernière porte vers la solitude. Le but est d’arriver à être bien dans la solitude du travail, doctorat oblige. D’arriver à être bien longtemps, loin de ceux qui sont mes phares, de vous. D’arriver à laisser tomber mes dernières barrières dans la solitude de l’inconnu. D’arriver à découvrir une partie de moi qui existe, mais que je n’arrive pas à déterrer chez nous. C’est d’arriver à me satisfaire dans l’inexploré et donc d’essayer, de prendre des risques, d'aller à l'aventure.

J’écris ce post fort probablement parce que pour la première fois de ma vie, ça fait un mois que je n’ai pas vu aucun de vous et je ne me tortille pas d’ennui. Pour être honnête, je pensais que j’aurais quelques moments en recevant un de vos messages, ou en aillant une discussion sur skype, ou en croisant un endroit qui me fait penser à vous, j’aurais eu ce pincement au cœur. Celui que je connais si bien. Mais non. J’ai pensé à vous tous les jours pour pleins de raisons. Vous êtes avec moi dans toutes les découvertes et tous les évènements, mais je n’ai pas besoin de votre présence. Pas encore du moins.

J’attends mes parents qui font un saut en ville pour une semaine et j’ai hâte de les voir, mais j’aurais pu me passer de leur visite. Étrangement, c’est mieux. C’est comme si le fait que leur présence n’est pas un besoin, mais seulement un plaisir, ça rend leur venue encore plus délicieuse. J’ai envie de partager Londres avec eux, mais de savoir qu’elle sera encore à moi tout plein après leur départ, c’est chouette ;)

Pour en revenir à vivre en solo, j’arrive à un point où je crois que ça n’a plus aucun rapport avec vivre seule. Je crois que la solitude dont parle Nietzsche, c’est la sérénité du cœur, c’est l’intériorité, ce n’est pas être littéralement seule. J’aime l’anglais pour la distinction que cette langue fait entre « alone » et « lonely ». Quand on comprend la différence, la vie est plus douce.

Bref, l’ordre des étapes vers la solitude est peu important. Certains préfèrent partir en voyage avant tout. D’autres se concentre sur l’égoïsme et des fois restent pris là un peu trop longtemps. Pour d’autres les étapes sont différentes. Ils écrivent, peignent, créent, se perdent dans la nature, reviennent aux sources. Chacun ses étapes, chacun son timing, chacun ses tests. Peu importe la manière, j’espère que chacun de vous aura la chance d’apprivoiser la solitude à un moment ou à un autre de sa vie. Pour comprendre toutes les choses magiques qui s’y cachent, les rencontrent qui en naissent. Parce qu’aimer être en solo ça a bizarrement l’effet d’un aimant.


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